SOULEIADO,

le dernier des indienneurs

Notre histoire débute à la fin du XVIème siècle. Arrivent sur le port de Marseille des tissus en coton de provenance indienne aux coloris très vifs. Ces cotonnades frappent les négociants par l’inaltérabilité de la teinture, le lavage ne faisant qu’aviver les couleurs. Elles sont alors destinées au marché national et à l’exportation.

LES PIONNIERS

En 1648, dans un contexte de pénurie d’indiennes, ouvre à Marseille le premier atelier d’indiennage. Il semble que l’initiative revienne au maître cartier (fabricant de cartes à jouer) Benoit Ganteaume qui s’associe au graveur sur bois Jacques Baville pour imprimer des toiles de coton brut originaire du Levant. Au début la qualité des indiennes provençales est médiocre, elles sont monocolores voire bicolores, et peu résistantes au lavage. Les premières fabriques misent avant tout sur la rentabilité du travail d’impression sur place, et donc sur le prix. Ces cotonnades sont principalement destinées aux gens du peuple qui ne peuvent s’offrir les belles et véritables indiennes importées. De plus les premiers indienneurs restent encore des cartiers dont l’impression sur tissu n’est qu’une activité complémentaire.

 

La vogue de ces tissus se développe fortement à partir de la création de la compagnie des Indes Orientales par Colbert en 1664. La haute bourgeoise s’arrache alors ces étoffes, Madame de Sévigné lance la mode à la cour de Louis XIV. En 1669, Colbert affranchit le port de Marseille favorisant les importations. Les indienneurs marseillais n’ont plus le choix. Pour conserver leurs clients, ils doivent progresser en qualité. Dès 1672 ils font venir avec l’appui de Colbert à Marseille une colonie de négociants et de techniciens arméniens dont le savoir-faire est reconnu depuis des siècles.

 

Le transfert de technologie s’effectue, les métiers de l’indiennage et de la carte à jouer se séparent. Marseille se dote ainsi d’un savoir-faire pointu et reconnu, qui suscite des premières imitations à Avignon, Arles et Nîmes. Ces toiles peintes ou imprimées font une forte concurrence aux industries traditionnelles et plus particulièrement aux tissus de luxe de laine ou de soie. Les protestations des soyeux et des lainiers s’amplifient à partir de 1681 quand plusieurs ateliers lyonnais doivent s’arrêter.

LA PROHIBITION

La mort de Colbert en 1683 va changer la donne. Tout d’abord les marseillais, soucieux d’éliminer toute concurrence au niveau locale, qu’elle soit juive ou arménienne, obtiennent le départ des arméniens. Mais la situation devient plus aigüe avec la révocation de l’édit de Nantes en 1685 qui provoque une fuite d’argent et de compétences hors du royaume.
Pour lutter contre la crise économique qui s’installe, en octobre 1686, Louvois fait prendre par Louis XIV un arrêt de prohibition visant les toiles peintes aux Indes ou « contrefaites dans le royaume ».
L’objectif est de mettre un terme à la vogue des indiennes et de protéger les grandes industries textiles françaises que sont le lin, la soie et la laine.

 

La prohibition ne sera abolie qu’en 1759, 74 ans plus tard !
Avec cet arrêt c’est non seulement la fabrication, mais aussi le commerce et l’usage des cotonnades imprimées qui sont interdits. Le régime de prohibition ne donnera jamais satisfaction, et va être sans cesse amendé Le goût pour ces produits interdits ne fera que se développer entraînant une forte contrebande. Tout d’abord Marseille résiste. Peine perdue un édit de 1689 la rappelle à l’ordre, les planches d’impression des fabriques marseillaises sont brisées en place publique.

 

Un grand nombre d’indienneurs se replie alors sur Avignon, possession papale non touchée par l’édit. La Toscane est aussi une terre d’accueil. En 1703, conscient des dégâts économiques engendrés, le roi redonne à la ville de Marseille le droit de d’usage, de fabrication, et de commercialisation des Indiennes à destination de Marseille, des colonies et de l’étranger.
Les indiennes restent interdites dans le royaume et la répression se renforce.
En 1726, un édit condamne à 3 ans de galères les contrebandiers d’indiennes, et à la peine de mort ceux agissant en bandes organisées et armées. Le bandit valentinois Mandrin fut un grand contrebandier d’indiennes.

 

Dès 1730, Aix en Provence est devenu la capitale de la contrebande. Les toiles arrivées de Marseille clandestinement sont entreposées dans les maisons de la noblesse de robe de la ville.
Dès lors comme il est difficile de s’en prendre aux notables, la répression se porte sur les couches populaires qui sont dans l’impossibilité de payer les amendes. C’est l’origine de l’émeute du 18 octobre 1736 qui enflamme la ville.
Les tentatives pour faire appliquer la loi deviennent alors quasi impossibles, et dès 1750 apparaissent les premières fabriques aixoises clandestines.

LA LIBÉRATION

L’indiennage marseillais atteint son apogée en 1754, la ville compte alors une quinzaine d’entreprises. Mais la guerre de 7 ans provoque une crise économique sévère, et il devient nécessaire d’ouvrir le marché national. C’est chose faite sous l’impulsion de Trudaine, la prohibition prend fin en 1759.

 

Malheureusement, une fiscalité défavorable et des salaires plus élevés, provoquent alors une délocalisation des entreprises marseillaises vers la Provence, et de là , le développement d’une véritable industrie des toiles peintes dans toute la France. Les importations des Indes lourdement taxées sont alors progressivement remplacées par la production nationale.

 

Ces cotonnades imprimées légères, d’un prix modique, faciles d’entretien, aux motifs floraux et aux couleurs chatoyantes envahissent la France, mais c’est le marché provençal qui restera toujours le plus important, les provençaux en faisant grand usage. La création continue de nouveaux motifs va alors devenir la clé du succès des manufactures les plus renommées. C’est une véritable mode qui déferle alors et qui connaît son apogée dans les années 1790.

LE DÉCLIN

Au début du XIXème siècle, le déclin de la foire de Beaucaire et la rude concurrence alsacienne et anglaise entraîneront sa disparition progressive jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une seule fabrique d’indiennes provençales au début du XXème siècle, SOULEIADO à Tarascon.

LA NAISSANCE DE SOULEIADO

En 1806, Jean Jourdan créé dans le couvent des capucins, au centre de Tarascon, une manufacture d’indiennes dénommée Manufacture Jourdan. En 1821, faisant face à des difficultés financières, il vend le couvent à la ville qui va y édifier un théâtre encore en usage aujourd’hui, et déménage son activité dans l’hôtel d’Aiminy, créant dans le même temps une fabrique de mouchoirs imprimés à St Etienne du Grès. Son fils Mathieu qui lui succède en 1840 et va la diriger jusqu’à sa mort en 1882.

 

Elle est alors reprise par un des derniers négociant d’indiennes, Paul Véran, soucieux de s’assurer un outil de production à une époque où les fabriques ferment les unes après les autres, à une époque où les provençaux s’éloignent de leur costumes traditionnels.

 

La manufacture Véran va année après année enrichir son fonds de dessins et de planches d’impression en reprenant les archives des maisons qui disparaissent, et notamment celles de Foulc, grand indienneur en Avignon.

 

A sa mort en 1916, la manufacture Véran est le dernier indienneur de Provence. Paul laisse ses 5 ouvriers orphelins. C’est un pharmacien de Beaucaire, Charles Henri Deméry, tombé littéralement amoureux de cette manufacture, qui décide de la sauver.

 

Elle va grâce à lui survivre et prospérer.

SOULEIADO, LA MARQUE DE L'ART DE VIVRE PROVENCAL

Lorsqu’en 1937, il cède la manufacture Véran devenue manufacture Deméry à son neveu Charles Deméry, elle compte 10 indienneurs. Charles, jeune ingénieur en génie civil venu de Paris se reposer chez son oncle suite à une maladie, a lui aussi un véritable coup de foudre. Il se lance dans l’aventure, avec force et énergie, et créé en 1939 la marque SOULEIADO, l’ensoleillade en provençal, ce moment où le soleil perce les nuages après la pluie.

 

Hélène, la femme de Charles est une excellente couturière, et quand en 1947, une bonne cliente, Mme Vachon de Saint-Tropez lui propose de développer pour elle une collection de robe. Elle se lance avec joie. C’est un énorme succès.

 

En 1950, un client italien de Florence, a l’idée de créer une boutique à l’enseigne SOULEIADO, ce sera la première d’une longue série.

 

Malheureusement, Hélène disparait dans un accident de la route l’année suivante au retour de Paris. Charles est miraculeusement indemne.

 

Il continue seul courageusement sur la voie tracée. C’est un travailleur et un voyageur infatigable. Et dès 1952, l’entreprise compte plus de 300 salariés répartis sur 4 sites : l’impression manuelle à l’hôtel d’Aiminy, l’impression mécanique à Saint-Etienne du Grès les ateliers de couture à Avignon rue Thiers, et le siège social à l’hôtel de Provence de Tarascon. 80% des ventes sont réalisées à l’étranger. SOULEIADO est chez BLOOMINGDALE et chez MACYS à New York, Zurich est le plus grand point de vente.

UN NOUVEAU SOUFFLE

Les années 60 verront la marque SOULEIADO stagner avant une véritable renaissance à la fin des années 70 marquée par l’arrivée de Chantal THOMASS au bureau de style. Elle va incarner le style SOULEIADO de la fin des années 70. Le succès est au rendez-vous, SOULEIADO étoffe sa création, et rejoint le club fermé des marques de luxe. A la mort de Charles Deméry en 1986, la marque compte plus de 2000 points de vente dans le monde. Elle fait partie du comité Colbert et porte haut les couleurs de la Provence.

 

Malheureusement, les successeurs de Charles ne réussiront pas à conserver son héritage, et petit à petit SOULEIADO va s’endormir en son hôtel d’Aiminy autour d’un très beau musée devenu le témoin d’un riche passé.
En avril 2009, SOULEIADO est reprise par Daniel et Stéphane RICHARD, provençaux d’origine, qui décident de lui redonner vie. Dans cet hôtel très particulier au centre de Tarascon, une nouvelle équipe se plonge alors dans ce patrimoine incroyable,des archives de tissus, des dessins par centaines, une vraie chasse au trésor, le trésor des Indienneurs provençaux, un héritage vieux de 360 années.

 

Le soleil perce alors de nouveau les nuages. La SOULEIADO est de retour !

Le soleil perce alors de nouveau les nuages. La SOULEIADO est de retour !